Ordre Ecossais des Chevaliers du Saint Temple de Jérusalem
Pour la chrétienté médiévale, Jérusalem fut le centre du monde, c’est-à-dire le centre de la tradition chrétienne, voire judéo-chrétienne, et le voyage à Jérusalem, vécu comme un pèlerinage, l’image du retour au centre. Si Jérusalem, la sainte Sion, est la ville sainte du judaïsme, elle est également celle du christianisme, par la continuité de l’un à l’autre, malgré les ruptures apparentes. La Terre sainte est aussi assimilée au Paradis terrestre des occidentaux, point de départ de la tradition judéo-chrétienne, d’où partent les quatre fleuves coulant vers les quatre points cardinaux, qui est également le « séjour d’immortalité » comme le rapporte la Genèse.
Celui qui est réintégré dans le Paradis a désormais sa demeure dans le « Centre du Monde ». Le retour au centre est symbolisé par le pèlerinage qui est bien une pérégrination devant mener, après beaucoup d’épreuves, au Centre. Et le pèlerinage à Jérusalem est à la fois ce retour au centre, c’est-à-dire au centre de la tradition chrétienne, sur un plan horizontal, et, sur un plan vertical, dans une perspective eschatologique, le désir de voir la Jérusalem céleste descendre du ciel et se confondre, en quelque sorte, avec cette Jérusalem terrestre dont elle sera l’accomplissement.
A l’aube du onzième siècle, le pèlerinage individuel à Jérusalem, accompli et vécu comme un rite de pénitence, prendra une dimension de plus en plus collective. Mais, dans l’un et l’autre cas, le pèlerinage sera considéré comme marquant la crise définitive où le vieil homme se dépouille, créant ainsi une vie neuve. Le pèlerin se retrouve « comme né à nouveau et refait tout entier…, tous ses désirs comblés de cette vie terrestre ». Rite de pénitence par excellence, il sera vécu comme tel, après un dépouillement de tous les biens terrestres, le dernier bien étant la vie à laquelle le pèlerin devra même s’engager à renoncer sur le chemin qui mène au Centre, c’est-à-dire Dieu, « Principe et Fin » (Apocalypse 22, 13) de toutes choses. Le départ pour les Lieux saints ne se fera donc pas sans dépouillement préalable, l’exigence de pauvreté exigeant l’allégement du fardeau de la tentation à retrouver un jour ses richesses ou bien contraignant à ne plus revenir. La vie religieuse de l’occident verra dans l’acte de pèlerinage l’œuvre suprême de religion, individuelle au départ, puis de plus en plus collective.
Il s’agit, dans cet « esprit de croisade », d’une rencontre physique avec les lieux où s’est accompli le mystère de la Rédemption. Les troupes qui vont à Jérusalem reprennent la vieille marche des Hébreux pénétrant en Terre sainte. C’est un nouvel Exode vers cette Jérusalem terrestre, image imparfaite de la Jérusalem céleste, sur laquelle doit régner pour l’éternité le Roi des derniers jours issu de la semence de David. La route de Jérusalem devient la voie de l’accomplissement des Temps, œuvre collective de salut commun individuel, obligeant de se battre pour arriver à son terme. Dans l’extraordinaire attente de l’accomplissement du temps des nations selon Luc 21, 24, qui précède la première croisade prêchée par le pape Urbain II le 27 novembre 1095, espace et histoire se confondent, dont le mot « plénitude » est la réalisation même. Après quoi il n’est rien d’autre sinon la certitude de la parousie en cette sainte Cité où aura lieu l’avènement du Christ glorieux et où l’humanité, de l’orient comme de l’occident, doit se rejoindre pour l’exaltation suprême de son salut.
Dans cette perspective de la croisade, le symbolisme du voyage est à rapprocher de celui de la guerre et l’on se rend compte combien le but de ce pèlerinage, identifié symboliquement à la « Terre Sainte » ou « Terre des Vivants », peut prendre une dimension collective, accompagnée de signes et de prodiges se manifestant à ceux-là seuls qui ont vécu le dépouillement intégral ; ce qui explique qu’ils n’accompagneront que la croisade des pauvres et non celle des barons.
Si Jérusalem est bien le nombril, le centre de la terre, le lieu où s’est accompli le plus haut, le plus total mystère qui concerne l’univers chrétien et son salut, ce centre du monde est aussi le chœur de la tradition chrétienne, lui-même figuré par un vase qui n’est autre que celui que les légendes du Moyen Age occidental devaient désigner comme le Saint-Graal. Et tout centre suprême doit être gardé à partir de sa circonférence afin que puissent se déplacer, de la périphérie vers le centre, les individus et les foules qui participent de cette migration de l’occident vers l’orient. Telle sera la mission des grands ordres de chevalerie médiévaux nés des croisades, dont l’attribution est bien celle de « Gardiens de la Terre Sainte », et plus particulièrement des Templiers. « Chevalerie du Saint-Graal », « Gardiens de la Terre Sainte » sont des dénominations attachées à ceux dont la mission première est de protéger le Centre Suprême où sont détenus les secrets de la Tradition primordiale, adaptée aux conditions de temps et de lieu. Et lorsqu’une tradition particulière perd son rattachement au Centre, entendu sur un plan géographique et symbolique, ceux qui avaient pour mission de la défendre perdront, par le fait même, leur raison d’être. Tel fut le destin tragique des Templiers puisque vingt et un ans seulement séparent la perte définitive de la Terre sainte de l’abolition de l’Ordre en tant qu’organisation constituée.
Le Centre, la Terre Sainte, le pèlerinage et la croisade ne sont que les différentes facettes d’une même réalité ; le retour, individuel ou collectif, à l’Unité primordiale passant par une rencontre physique avec les lieux mêmes où la Tradition s’est manifestée et où s’opère la réintégration dans le Principe suprême, là où s’unifient tous les contraires, où se résolvent toutes les oppositions. Tout pèlerinage en Terre Sainte, vécu en mode héroïque, est l’ « alpha et l’oméga » du pèlerinage terrestre vers la Cité céleste.